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@belmarca
Created November 9, 2023 14:24
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Rousseau contrat social
AVERTISSEMENT.
Ce petit traité est extrait d’un ouvrage plus étendu, entrepris autrefois sans avoir consulté mes forces, & abandonné depuis long-tems. Des divers morceaux qu’on pouvoit tirer de ce qui étoit fait, celui-ci est le plus considérable, & m’a paru le moins indigne d’être offert au public. Le reste n’est déja plus.
DU
CONTRACT SOCIAL ;
OU,
PRINCIPES
DU
DROIT POLITIQUE.
LIVRE I.
Je veux chercher si dans l’ordre civil il peut y avoir quelque regle d’administration légitime & sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont, & les loix telles qu’elles peuvent être : Je tâcherai d’allier toujours dans cette recherche ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit, afin que la justice & l’utilité ne se trouvent point divisées.
J’entre en matiere sans prouver l’importance de mon sujet. On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la Politique ? Je réponds que non, & que c’est pour cela que j’écris sur la Politique. Si j’étois prince ou législateur, je ne perdrois pas mon tems à dire ce qu’il faut faire ; je le ferois, ou je me tairois.
Né citoyen d’un État libre, & membre du souverain, quelque foible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire. Heureux, toutes les fois que je médite sur les Gouvernemens, de trouver toujours dans mes recherches de nouvelles raisons d’aimer celui de mon pays !
CHAPITRE I.
Sujet de ce premier Livre.
L’homme est né libre, & par-tout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux. Comment ce changement s’est-il fait ? Je l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question.
Si je ne considérois que la force, & l’effet qui en dérive, je dirois ; tant qu’un Peuple est contraint d’obéir & qu’il obéït, il fait bien ; sitôt qu’il peut secouer le joug & qu’il le secoüe, il fait encore mieux ; car, recouvrant sa liberté par le même droit qui la lui a ravie, ou il est fondé à la reprendre, ou l’on ne l’étoit point à la lui ôter. Mais l’ordre social est un droit sacré, qui sert de base à tous les autres. Cependant ce droit ne vient point de la nature ; il est donc fondé sur des conventions. Il s’agit de savoir quelles sont ces conventions. Avant d’en venir-là je dois établir ce que je viens d’avancer.
CHAPITRE II.
Des premieres Sociétés.
La plus ancienne de toutes les sociétés & la seule naturelle est celle de la famille. Encore les enfans ne restent-ils liés au pere qu’aussi longtems qu’ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfans, exempts de l’obéïssance qu’ils devoient au pere, le pere exempt des soins qu’il devoit aux enfans, rentrent tous également dans l’indépendance. S’ils continuent de rester unis ce n’est plus naturellement c’est volontairement, & la famille elle-même ne se maintient que par convention.
Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l’homme. Sa premiere loi est de veiller à sa propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu’il se doit à lui-même, &, sitôt qu’il est en âge de raison, lui seul étant juge des moyens propres à le conserver devient par-là son propre maitre.
La famille est donc si l’on veut le premier modéle des sociétés politiques ; le chef est l’image du pere, le peuple est l’image des enfans, & tous étant nés égaux & libres n’aliénent leur liberté que pour leur utilité. Toute la différence est que dans la famille l’amour du pere pour ses enfans le paye des soins qu’il leur rend, & que dans l’Etat le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n’a pas pour ses peuples.
Grotius nie que tout pouvoir humain soit établi en faveur de ceux qui sont gouvernés : Il cite l’esclavage en exemple. Sa plus constante maniere de raisonner est d’établir toujours le droit par le fait. On pourroit employer une méthode plus conséquente, mais non pas plus favorable aux Tirans.
Il est donc douteux, selon Grotius, si le genre humain appartient à une centaine d’hommes, ou si cette centaine d’hommes appartient au genre humain, & il paroit dans tout son livre pancher pour le premier avis : c’est aussi le sentiment de Hobbes. Ainsi voilà l’espece humaine divisée en troupeaux de bétail, dont chacun a son chef, qui le garde pour le dévorer.
Comme un pâtre est d’une nature supérieure à celle de son troupeau, les pasteurs d’hommes, qui sont leurs chefs, sont aussi d’une nature supérieure à celle de leurs peuples. Ainsi raisonnoit, au raport de Philon, l’Empereur Caligula ; concluant assez bien de cette analogie que les rois étoient des Dieux, ou que les peuples étoient des bêtes.
Le raisonnement de ce Caligula revient à celui d’Hobbes & de Grotius. Aristote avant eux tous avoit dit aussi que les hommes ne sont point naturellement égaux, mais que les uns naissent pour l’esclavage & les autres pour la domination.
Aristote avoit raison, mais il prenoit l’effet pour la cause. Tout homme né dans l’esclavage nait pour l’esclavage, rien n’est plus certain. Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu’au désir d’en sortir : ils aiment leur servitude comme les compagnons d’Ulisse aimoient leur abrutissement. S’il y a donc des esclaves par nature, c’est parce qu’il y a eu des esclaves contre nature. La force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués.
Je n’ai rien dit du roi Adam, ni de l’empereur Noé pere de trois grands Monarques qui se partagerent l’univers, comme firent les enfans de Saturne, qu’on a cru reconnoître en eux. J’espere qu’on me saura gré de cette modération ; car, descendant directement de l’un de ces Princes, & peut-être de la branche aînée, que sais-je si par la vérification des titres je ne me trouverois point le légitime roi du genre humain ? Quoi qu’il en soit, on ne peut disconvenir qu’Adam n’ait été Souverain du monde comme Robinson de son isle, tant qu’il en fut le seul habitant ; & ce qu’il y avoit de commode dans cet empire étoit que le monarque assuré sur son trône n’avoit à craindre ni rébellion ni guerres ni conspirateurs.
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